On se doit de parler d’abord du lieu, car déguster la cuisine de Thibaut Ruggeri dans le cloitre multi-séculaire du prieuré de l’Abbaye de Fontevraud, chargé d’histoire(s), de son passé religieux puis carcéral à sa toute dernière destinée de restaurant, c’est vivre le passé et le présent. Dans ce lieu exceptionnel, les designers Patrick Jouin et Sanjit Manku en ont « préservé l’âme », apportant transparence et sérénité. Installé autour du cloître, le restaurant s’ouvre sur un jardin semé de plantes aromatiques que le chef ne se prive pas de cueillir. Le lieu dispose d’une capacité de 88 couverts dont profite également la salle capitulaire. La beauté et la majesté de l’endroit incitent tout de go à la contemplation. « On veut transcrire l’histoire de Fontevraud dans l’assiette » annonce Thibaut Ruggeri. Bocuse d’Or en 2013, le jeune chef a eu beaucoup de sollicitations mais c’est Fontevraud qui le fait craquer. « Je suis arrivé au matin, le soleil pointait sur l’abbatiale… » se souvient-il. La séduction du lieu opère immédiatement et le projet idem. « Un projet cohérent mais d’ampleur, ambitieux ». « Je ne suis pas de la région, je suis savoyard, mais le terroir ici regorge de bons produits », ajoute Thibaut Ruggeri.
Travailler avec le local, les producteurs en direct, le beurre chez l’un, le fromage chez l’autre, la crème, les légumes, les fruits, le vin, la viande… « Avoir du bon sens », tel est le crédo de la maison. L’osmose assiette/lieu semble réussie et les papilles, elles, ne sont pas sereines mais plutôt en émoi.
Car le champignon de Paris (saumurois bien sur), à Fontevraud, sublimé par une sauce jus de poulet un peu corsé et une farce à la pintade, suspend l’instant, entre douceur subtile et suavité maximale, frôlant une incantation divine (en même temps le cloître s’y prêterait fort bien).
Dans la même veine expressive, un turbot laqué au miel de l’Abbaye, la chair admirablement cuite, iode prolongée, joue la géniale surprise avec le miel. Comme une seconde peau, fouettant les sens comme un air de fête, le miel, curieusement loin d’amoindrir la chair du poisson, la met encore plus à l’honneur. On goûte et ça tourneboule, l’association rompt d’emblée la barrière qui pourrait séparer salé et sucré, c’est juste évident.
A ce stade on se laisse porter par le ris de veau en parmentier, le ris braisé, purée de pommes de terre, jus de daube et genièvre, pointes de sauge dans le ris et salade d’herbes de l’Abbaye.
Imparable de tendresse, le ris de veau donne une nouvelle version/vision du parmentier, affirmant la technicité aboutie de Thibaut Ruggeri, évidente, me direz-vous, pour un Bocuse d’Or.
De son chapeau magique, le chef nous sort un fabuleux dessert, vacherin cerise pistache, crème brulée pistache, cerises sautées, sorbet cerises fraiches, préparation à base de fromage frais, quelques meringues et pistaches sablées. C’est terrible, tout se mêle, s’entremêle, chaque arôme se croise, s’entrecroise, sans jamais être dans le désordre, dans une joyeuse liberté, bercé d’instants langoureux, nous ramenant toujours à bon port.
Le restaurant ouvert depuis seulement depuis mai 2014, le jeune chef ouvre la voie à une cuisine parfaitement maîtrisée, construisant une histoire avec le lieu et le convive, dans un mode expressif et totalement accessible. Si les moniales revenaient, pas sûr qu’elles ne vendraient pas leur âme au diable pour goûter l’envoutante cuisine de Thibaut Ruggeri.
Ce que l’on déguste:
Langoustines, royale excentrique et coulis métisse.
Le champignon de Paris, à Fontevraud.
Généreuse raviole de blette et chèvre.
Turbot laqué au miel de l’Abbaye.
Sandre, beurre blanc et herbes à soupe.
Tarte d’une poulette de Racan rôtie.
Le chocolat glacé et la noisette.
Le miel de l’Abbaye givré, pain de Gènes et lavande.
Infos pratiques:
Menus.
Menu menu, 55 euros.
Grand menu, 90 euros.
Menu abeilles, 20 euros.
Recette : Le Ris de Veau en Parmentier
Fontevraud le restaurant.
49590 Fontevraud l’Abbaye.
Tel. 02 41 51 73 52.
www.fontevraud.fr
photos et texte Luc Sellier