Le Manoir de la Régate, 1* au Michelin, Nantes, avec Mathieu Pérou.
On peut mesurer le chemin parcouru depuis trois années, époque du premier reportage de Gastronomica au Manoir de la Régate, par Mathieu Pérou, le chemin d’un bosseur, d’un chercheur, interrogeant à chaque service ses limites pour mieux baliser l’étendue des possibilités, artisan d’un minutieux chantier culinaire savant. L’étoile du guide rouge est arrivée, doublée de l’étoile verte (durabilité et environnement) en 2021. Bon sang ne saurait mentir, Anne-Charlotte Pérou, soeur de Mathieu, s’est vu décerner cette année 2022 par le Michelin le prix de l’accueil et du service.
Ode à l’artichaut. Pour mettre immédiatement le convive en condition, un dément pain à base de betterave, une recette retrouvée du chef nantais Edouard Nignon (1865-1934) et un beurre de la ferme de la Pannetière au fromage frais et herbes sauvages ouvrent le bal. C’est une ode à l’artichaut, en terrine avec coriandre, en mousseline idem, en pickles, compotée d’oignons, oeufs de brochet fumés, sauce aigrelette crème de la Pannetière, le tout met les papilles dans les nuages, l’artichaut en textures inédites sublimant ses notes terriennes, venant en voisin de la ferme à cueillir de Carquefou. En escorte liquide, un Muscadet Sèvre-et-Maine 2020 nommé Contre-courant de François Ménard, ne demande qu’à s’exprimer avec le divin légume.
Ciselé. A suivre du mulet de Loire travaillé confit, potagère aux herbes réduction échalote, beurre blanc avec huile aux herbes, laquage beurre blanc, caviar de Madagascar, sauce gribiche en liseré, le poisson en cuisson précise et délicate, le tout comme un petit bijou gourmand et ciselé pour notre bon plaisir, où chaque détail participe d’une réflexion sur le goût, le perfectionnisme revendiqué du chef n’oubliant jamais l’objectif premier, le plaisir du convive. On note d’aller modérato sur le pain maison, travaillé avec les graines de la ferme de la Penoue d’Alexis Férard, et le beurre de la Belle Miss’terre (Maine-et-Loire), le duo étant immédiatement addictif.
Vous avez dit local? La distance du poisson à l’assiette est ici de quelques dizaines de mètres, en l’occurence le silure de l’Erdre, et plus précisément la portion de la rivière juste en face du restaurant. Revenons au plat , du silure, la chair extra, la cuisson irréprochable, impertinent de naturel, avec et autour c’est la java des sens, une mousseline de petits pois, des petits pois glacés avec le jus des cosses et et du lard nantais enrobant le poisson, un facétieux bouillon fait avec les arêtes du silure, parfumé avec le lard nantais, de l’huile de cochon et de l’huile de cosses des petits pois, et pousses de petits pois et pickles d’oignons, et demandez le programme, le lard se fait complice du silure, les petits pois hissent haut l’étendart potager, le bouillon exale ses parfums.
Le convive embarqué. Coté viande, l’agneau Landes de Bretagne de chez Vincent Cerclier à Nort-sur-Erdre possède un charme indéniable, au caractère carné affirmé, la chair goûteuse, la cuisson toujours maîtrisée, courtisé par une gaillarde asperge verte juste rôtie terminée au barbecue, crumble quinoa et lentilles, nougatine et pesto d’ail des ours, quelques fondantes morilles en goguette champêtre, le jus d’agneau donnant une amplitude aromatique à l’assiette. Pour le sucré, une tartelette au chocolat de Madagascar libère de l’intérieur un streusel cacao avec des grains de fenouil caramélisé, crème d’amande et une affriolante crème glacée à la violette sauvage. Dans une verve érudite, cuisine sophistiquée mais pas démonstrative, Mathieu Pérou avance par inflexions et intuitions, laissant filer son énergie démiurgique, embarquant le convive de son plein gré dans un voyage fixé sur des forces gustatives et l’art du contraste.
Le Manoir de la Régate. 155, route de Gachet. 44300 Nantes. Tel 02 40 18 02 97. www.manoirdelaregate.com
Textes et photos Luc Sellier/Gastronomica